En 1907, le bélinographe transmettait des photos par téléphone

L'ancêtre du fax


  Qui a inventé la transmission par téléphone des photos ?


    Portraits et paysages furent pendant plus de cinquante ans les thèmes quasi exclusifs de la photographie


  Mais les perfectionnements techniques multiplièrent les applications et entraînèrent le succès du reportage sous toutes ses formes : reportage documentaire, reportage d'actualité qui multiplie à un rythme sans cesse accéléré les images de la vie politique, militaire, religieuse, économique, sociale, tout ce qui, d'une manière ou d'une autre, représente l'histoire au jour le jour.


    Les premiers reportages sont saisissants, à la fois par leur qualité d'incunables et par leur sincérité de témoignages objectifs : personnages illustres qui posent avec dignité, scènes d'histoire dont le mouvement trouble la plaque encore lente.


Le bélinographe

 C'est la Révolution de 1848, c'est une suite de vues de Sébastopol pendant la guerre de Crimée, l'inauguration de Crystal Palace par la reine Victoria en 1854, le retour de l'armée d'Italie à Paris en 1859, la guerre de Sécession avec Lincoln au milieu de ses partisans, l'inauguration du Canal de Suez (nov. 1869), le siège de Paris, la Commune, les funérailles de Victor Hugo (1885) et de Sadi Carnot (1894)...


    Quand on regarde au stéréoscope des vues représentant ces événements ou ces cérémonies insignes, on voit véritablement, dans ces singulières lunettes, les épisodes d'un monde aboli, d'un drame immobile et muet dont les acteurs, dispersés depuis longtemps, demeurent groupés en foule, figés pour toujours dans les attitudes de la vie, avec un relief saisissant et une imperturbable vérité ; c'est plus qu'Herculanum ; c'est une fascinante vision d'un passé intact.



    Mais cette magie individuelle ne suffit plus. L'image doit être multiple et il faut la diffuser sans délai.


 


    Le pigeon voyageur, à qui Dagron confiait pendant le siège de 1870 un petit rouleau de photographies lilliputiennes reproduisant cinquante mille dépêches, a été remplacé par l'express, l'auto et l'avion qui battent des records pour apporter de l'autre bout du monde l'image sensationnelle. Malgré ces performances, l'image suit de trop loin encore la nouvelle. Il faut aller plus vite ; les moyens mécaniques sont dépassés à leur tour par des méthodes plus audacieuses.



    Les premières expériences de transmission télégraphiques ou téléphoniques des photographies furent réalisées entre 1905 et 1909 par le professeur allemand Arthur Korn qui faisait appel aux propriétés photo-électriques du sélénium. Mais c''est au début de 1907 que le Français Edouard Belin fit connaître un procédé qui, depuis , s'est perfectionné sans cesse, connu aujourd'hui sous le nom de « bélinographie » (ancêtre du fax et du mail avec pièce jointe) ; ce terme étant même employé jusque dans les années 1950 pour désigner toute transmission d'image, quel que soit le procédé. Le problème s'énonçait d'une manière précise : « Etant donné, au poste de départ, un document graphique quelconque (une photographie par exemple), placer ce document sur un appareil dit « transmetteur », relié par voie électrique (conducteur métallique ou radio) à un autre appareil dit « récepteur », situé au poste
d'arrivée, le tout étant disposé pour que l'image transmise se reproduise fidèlement sur la surface sensible (gélatino-bromure) du récepteur. 
Bélinographe


    Principe général du bélinographe.

Emetteur : le document est placé sur un cylindre à mouvement hélicoïdal. Un faisceau lumineux fixe, dirigé sur le cylindre, explore progressivement sa surface et vient, après réflexion et passage au travers des trous d'un disque rupteur de lumière, frapper la cathode d'une cellule photo-électrique, avec une intensité correspondant aux valeurs des points analysés. Le courant électrique alors produit
dans la cellule, proportionnel à l'éclairement de la cathode, est amplifié et envoyé par fil téléphonique ou télégraphique.


Récepteur : la modulation électrique reçue est retransformée en modulation lumineuse : le miroir d'un galvanomètre (oscillographe) qui mesure ces variations de courant, renvoie un faisceau lumineux incident suivant des angles variables, à travers une gamme de gris qui fait varier son intensité ; un diaphragme détermine la grosseur du point d'impact lumineux. Ce point, qui vient frapper le cylindre de réception, est l'image positive ou négative du point lumineux d'exploration. Il suffit alors d'enrouler sur le cylindre tournant (soixante tours-minute) semblable au cylindre émetteur, une émulsion sensible, pour reconstituer le document original par une multitude de points minuscules.



    . Un petit bélinographe transmetteur (deux valises) réalisé pour le reportage a permis l'essor de la téléphotographie et son utilisation par la presse du monde entier.


    Un sujet exploré point par point pouvait être enregistré sur fil ou bande magnétique. (Le procédé Bing Crosby enregistrait le mouvement avec trois couleurs principales en trois lignes sur la même bande que le son.)


    Et naturellement, par la suite, la télécopie et le courriel permettent de nos jours la transmission en haute définition de n’importe quel document…


    Une photographie d'actualité prise, développée, transmise avec une telle rapidité, doit être diffusée sans délai. Pendant cinquante ans, elle fut soumise aux contingences de la gravure à la main ; mais dès les environs de 1875, les procédés de photogravure lui assurent une diffusion immense et sans cesse accélérée, dans les revues (L'Instantané, album photographique de l'actualité, supplément de la Revue hebdomadaire, 1897), puis par la carte postale (Exposition de 1900, premiers exploits de l'aviation, inondations de 1910...) et dans les multiples éditions des grands quotidiens. Transformée en cliché typographique en moins d'une heure, elle passe aussitôt à l'impression et peut être reproduite à des dizaines de milliers d'exemplaires quelques heures après avoir été prise sur un autre continent.


    Les reportages ainsi publiés dans la presse sont, en principe, des reportages d'information ; mais dès qu'une photographie est choisie, par le seul fait qu'elle est préférée à une autre, elle porte la marque d'une tendance, d'un homme ou d'un parti.


    Il était naturel que cette force fût employée pour la propagande : propagande politique, officielle ou clandestine (diffusion ou censure), propagande sociale, religieuse, publicitaire ; la photographie sous toutes ses formes (tract, affiche, annonce dans le journal, double page de revue, carte postale, livre illustré, projection lumineuse, sites internet) est devenue le plus précieux auxiliaire de l'édition.